Le Comité Est de la Cofrend (Confédération française pour les essais non destructifs) a organisé une journée technique régionale portant sur les END et la fabrication additive. Cette journée de conférences s’est tenue au Lycée Henri Loritz de Nancy, le 9 décembre 2021. Compte rendu.
Lors de cette journée technique, Daniel Chauveau, ancien directeur de l’innovation de l’Institut de Soudure et ancien directeur de la filière Expert, a présenté les avancées du groupe de travail qu’il anime au sein de la Cofrend. Ce groupe de travail “Fabrication additive” a entrepris la rédaction d’un guide à destination des industriels. Ses travaux sont focalisés sur les procédés DED (Directed Energy Deposition) ) – qui intègrent l’arc-fil – et PBF (Powder Bed Fusion). Ce document comportera plusieurs tomes publiés au fur et à mesure de leur rédaction.
Le groupe Institut de Soudure a, pour sa part, axé sa présentation sur l’impact de l’état de surface sur la contrôlabilité des pièces. Les pièces réalisées en fabrication additive arc et laser-fil présentent un état de surface irrégulier inhérent au procédé de dépôt. Les inclusions, les porosités et les manques de fusion (entre cordons) sont les trois défauts majeurs issus de la fabrication additive par procédé arc-fil. Plusieurs techniques (ressuage, radiographie, ultrasons, etc.) permettent de “voir” les défauts. Ainsi, il est important de savoir comment la pièce a été fabriquée pour adapter le processus de contrôle à la typologie et l’orientation des défauts recherchés. Des résultats issus d’expériences menées avec des pièces contrôlées par radiographie X et ultrasons en immersion ont été présentés. À l’occasion de cet exposé, les possibilités de contrôle par tomographie pour certaines pièces d’épaisseur adaptée ont aussi été mises en avant. Pour améliorer la contrôlabilité des pièces, les techniques évoluent mais il est également possible d’intervenir lors du process de fabrication. Deux axes ont été mis en avant lors de cette présentation : la modification de la microstructure et la maîtrise de l’état de surface. Le projet Surfab (surface en fabrication additive fil métallique. Caractérisation, contrôle et optimisation) permettra de caractériser l’état de surface grâce à des scans 3D et de disposer d’un outil d’optimisation. Le congrès Icwam (International Congress on Welding, Additive Manufaturing), qui aura lieu en juin prochain, a été annoncé.
Sont également intervenus des représentants de la SNCF et de Safran. La SNCF s’est intéressée dès 2016 à la fabrication additive. L’ingénierie du matériel de SNCF s’est orientée sur différentes technologies de fabrication additive et matériaux pour répondre à une variété de pièces à produire, aux contraintes de maintenance et aux exigences normatives propres à l’environnement ferroviaire. Les procédés de fusion par lit de poudre, le DED-fil, le FDM puis la fonderie rapide sont aujourd’hui les technologies vers lesquelles SNCF se tourne pour répondre rapidement à un besoin, un manque mais aussi pour mettre en place une supply chain plus agile et digitale. Les organes exposés à de fortes sollicitations mécaniques et confectionnés à partir de ces procédés sont soumis à des essais non destructifs (END) et parfois destructifs. Les méthodes de contrôle de type magnétoscopie, ultrasons et ressuage reconnues dans le comité sectoriel ferroviaire (CFCM) sont parfois associées à des méthodes de contrôle plus spécifiques comme la tomographie pour rechercher des défauts après fabrication et à l’issue des essais de fatigue. Ces contrôles permettent aussi d’identifier d’éventuelles discontinuités inhabituelles liées principalement à ces procédés. Ils offrent la possibilité de juger de la capacité des pièces à répondre aux exigences de service commercial. Les premières investigations sont encourageantes, ce qui incite SNCF à poursuivre les travaux engagés pour adapter les méthodes END appliquées aux composants ferroviaires et à ces nouveaux modes de fabrication.
Pour Safran, la fabrication additive apporte des réponses à des problématiques majeures : rendre accessible des pièces à forte valeur ajoutée, permettre des géométries inconcevables avec des procédés conventionnels, permettre la fonctionnalisation de pièces, le tout en réduisant les coûts et l’impact environnemental. Le groupe s’est récemment doté d’une entité spécifique dédiée à la fabrication additive, une “Usine campus” rassemblant en un seul lieu des machines dernière génération, ainsi que des experts de la fabrication additive et des procédés post-fabrication additive. Quelque 200 personnes y travailleront à terme. Les contrôles non destructifs auront une place prépondérante au sein de la structure, avec des problématiques nouvelles, telles que des états de surfaces variés, des zones inaccessibles, ou encore des complexités géométriques inexistantes jusqu’alors. Les performances de détection des méthodes dites matures telles que le ressuage, la radiologie, les ultrasons seront réévaluées afin de prendre en compte ces nouvelles problématiques et pour être intégrées au plus juste à la définition technique des pièces. Des technologies émergentes seront étudiées.
Des techniques CND plurielles
Le LNE a, pour sa part, rappelé que contrôler l’intégrité de pièces critiques de type lattices ou encore avec des cavités ou canaux internes, réalisées en fabrication additive, se révèle problématique du fait de la complexité de leur géométrie. À l’heure actuelle, pour inspecter intégralement de telles géométries et des structures internes sans endommager les pièces, il faut avoir recours à des techniques de contrôle non destructif d’investigation en volume. L’une d’entre elles, la tomographie à rayons X (XCT), se révèle être la plus performante. Toutefois, c’est une méthode coûteuse, le processus d’analyse des images est long et les fichiers volumineux difficiles à manipuler. Par ailleurs, elle ne convient pas pour les pièces de grande taille et de forte densité, ni au contrôle de routine. Des méthodes alternatives sont donc nécessaires. Des méthodes de spectroscopie par résonnance ultrasonore linéaires (RUS pour Resonant Ultrasound Spectroscopy) ont montré un fort potentiel et sont à ce jour les méthodes les plus prometteuses pour inspecter les pièces complexes réalisées en fabrication additive après l’XCT.
La société Novitom a axé son exposé sur la microtomographie à rayons X synchrotron (S-µCT) : un outil de contrôle non destructif et de caractérisation 3D puissant et adapté au domaine de la fabrication additive. La microtomographie à rayons X synchrotron permet, en effet, d’atteindre des résolutions élevées et d’imager les structures intérieures des objets sans les détruire, donnant accès à des zones internes inaccessibles avec les techniques de surface usuelles. Les données de S-µCT peuvent être utilisées pour obtenir par analyse d’image la rugosité 3D de surfaces inaccessibles avec les techniques de profilométrie standards. Les maillages surfaciques des zones internes d’une pièce peuvent également être générés et être directement comparés à la CAO des pièces étudiées. L’utilisation du faisceau synchrotron, avec une énergie plus élevée que les sources de rayons X de laboratoire, permet le contrôle de grandes pièces métalliques imprimées en 3D. De plus, la nature parallèle du faisceau synchrotron ouvre la voie à l’analyse multiéchelle.
Avec son offre matérielle et logicielle, la société X-Ris apporte des réponses en termes de problématiques production lorsqu’il s’agit de contrôler des pièces de fabrication additive par rayons X. La fabrication additive pousse les donneurs d’ordres à demander des performances de qualité d’image poussées sans certitude sur la nocivité des défauts observés ou recherchés. Dès lors, l’imagerie par tomographie (ou micro tomographie) doit être réservée à la mise au point des paramètres d’impression pour éviter les défauts nocifs (éventuellement sur éprouvettes). Selon X-Ris, il est alors possible de se limiter, en production, à une tomographie plus rapide de plus faible résolution ou à la radiographie 2D. Néanmoins, la quantité de données générées est très importante et un outil de détection automatique de défauts devient rapidement incontournable.
Lors de cette journée technique, les participants ont également pu assister à une démonstration commentée réalisée dans les locaux du Lycée Henri Loritz, et discuter avec trois exposants : les sociétés Eddyfi (présentation de la technique par ultrasons TFM) Mistras Group (présentation des méthodes par émission acoustique et acousto-ultrasons) et X-Ris.
Entretien avec Daniel Chauveau, pilote du groupe de travail Fabrication additive de la Cofrend
Vous gérez le groupe de travail de la fabrication additive au sein de la Cofrend. Y a-t-il des enjeux particuliers concernant cette thématique ?
La fabrication additive permet de fabriquer des pièces aux nouvelles formes, mais aussi de remplacer des pièces auparavant fabriquées autrement. Cela implique le recours à des procédés nouveaux dont on ne connaît pas toute la défectologie. L’un des premiers enjeux est ainsi de bien connaître les défauts susceptibles d’être générés par ces nouveaux procédés. Or, il n’existe pas de documents complètement construits pour définir ce qu’est un défaut généré par les procédés de fabrication additive. Le groupe de travail de la Cofrend s’est ainsi attelé à cette tâche. Nous avons rédigé deux documents de propositions de classification des défauts générés par des procédés de fabrication additive. Nous nous sommes basés sur ce que l’on a en soudage. Nous nous sommes appuyés sur les normes existantes pour produire quelque chose d’analogue. Les acteurs de l’ISO – qui ont bien conscience qu’il y a un vide dans ce domaine-là – se sont montrés intéressés par nos avancements.
Allons-nous vers une norme spécifique pour la fabrication additive ?
Une fois ces défauts-là définis, il est possible de commencer à imaginer une norme qui indiquera ce qui est « acceptable » ou « pas acceptable » dans des pièces issues de la fabrication additive, et sous quelles conditions. C’est ainsi un premier pas important. Nous avons également édité un document qui explique comment il faudrait structurer toutes les normes en fabrication additive. Énormément de normes sont sorties, mais il nous semble qu’il manque une colonne vertébrale et qu’il faut « brancher » ces normes les unes avec les autres. Nous avons proposé de structurer cette normalisation et de formaliser en priorité les normes générales qui font défaut encore aujourd’hui, tout en lançant une réflexion sur la priorité de normes CND à développer. De la même manière qu’il existe des normes dédiées au soudage, au moulage, etc., nous avons besoin de normes dédiées à la fabrication additive. Même si celles-ci reprennent des morceaux existants d’autres normes rédigées pour d’autres sujets. La fabrication additive est en plein développement et a besoin de sa structure normative pour pouvoir se développer et prendre vraiment son essor industriel.
Il existe un grand nombre de procédés de fabrication additive. Malgré tout, les défauts générés sont-ils communs ?
Nous nous sommes focalisés sur deux domaines qui nous paraissent importants pour les industriels : celui des procédés poudre, notamment le SLM, et celui des procédés de fabrication additive arc-fil Waam (Wire Arc Additive Manufacturing). En outre, nous avons essayé de regrouper dans les procédés arc-fil des procédés comme la fabrication additive par faisceaux d’électrons qui ne devraient pas générer des défauts très différents. De même, dans les procédés poudres, nous pensons qu’il est possible de regrouper différents procédés liés aux poudres. Nous ne pouvons pas tout mettre sous le même chapeau, mais déjà, en traitant ces deux domaines-là, nous couvrons un large spectre de la fabrication additive.
Où en est le GT dans la rédaction de son guide ?
Les premiers documents qui vont paraître ont peu avoir avec les CND mais cela répond à l’une des premières questions de la communauté du CND qui était : « dites-nous ce que vous cherchez et on vous dira comment le trouver. » Nous avons la chance d’avoir, dans le groupe, des membres qui sont de grands centres techniques (représentants du Cetim, de l’Institut de Soudure, de la fonderie, etc.), ce qui permet de construire quelque chose d’assez complet, qui adresse un peu tous les champs. Parce que même si la fabrication additive est différente du soudage ou de la fonderie, il y a quand même beaucoup de similitudes avec ces domaines industriels.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le tome 1 recense les normes existantes et celles en préparation dans le domaine de la fabrication additive et du CND : terminologie, procédés de fabrication, essais, qualification, critères d’acceptation, défectologie. Nous sommes actuellement en train de finaliser le tome 2 qui décrit les principaux procédés de fabrication additive, les compare et passe en revue les critères d’acceptation et les démarches qualité déployées par les industriels. Dans cette partie du guide – qui recense également tous les acronymes commerciaux, nous allons ajouter un pan dédié aux composites. Initialement nous nous étions cantonnés aux matériaux métalliques, mais nous avons convenu avec groupe de travail Composites de la Cofrend – qui travaillait sur les problématiques de fabrication additive – d’intégrer ces matériaux. Pour le tome 3, nous avons lancé un round robin sur des pièces types. Nous nous sommes en effet rendu compte qu’il est très difficile de procéder de manière générale lorsque l’on veut pouvoir sélectionner les bonnes techniques et donner des informations en termes de cadence, de temps de contrôle, de défaut détectables, etc. Nous souhaitons donner des exemples grâce à des pièces non confidentielles qui ont été mises à disposition par les participants. Des pièces qui ont été contrôlées par tomographie, en thermographie par induction, par ultrasons ou par radiographie numérique, ou par ressuage. Cela va nous permettre de donner des résultats sur des cas d’usage. Même si cela n’est pas généralisable, cela offre des exemples auxquels on peut se référer. Le tome 4 donnera des conseils pour établir les futures procédures de contrôle. Le tome 5 sera axé sur le monitoring des process, puisque nous nous rendons bien compte que le CND n’est pas la seule réponse à la qualité des pièces. Monitorer des pièces pendant la fabrication apporte également un intérêt. Ce tome passera ainsi en revue toutes les techniques possibles de monitoring et en donnera aussi les limites et indiquera comment coupler cela aux CND.