À l’heure où de nombreux modèles vacillent (énergie fossile, économie financière, croissance par la consommation, économie de service, collège unique, euro, déficit systématique…) et qu’il devient nécessaire, impératif même, de retrouver compétitivité et dynamisme industriel, la métrologie a une grande opportunité à saisir. Pour réussir à saisir cette chance historique qui se présente enfin de retrouver ses lettres de noblesse, elle devra néanmoins revoir son modèle s’appuyant essentiellement sur la vérification périodique des instruments. Elle doit comprendre aujourd’hui que son rôle est ailleurs ! Celui dévolu à la chaîne d’étalonnage est de faire en sorte que tout le monde parle le même langage, c’est-à-dire que tout le monde utilise les mêmes unités. La gestion des étalonnages en est l’axe principal. Néanmoins, s’il s’agit bien d’une condition sine qua non pour obtenir des mesures exploitables et comparables, il est plus important encore de comprendre les résultats de mesure. Cette dernière condition est en réalité la seule qui vaille pour prendre les bonnes décisions…
Savoir mesurer, c’est d’abord une première difficulté qui consiste à être capable de sortir du dogme de la mesure « juste » qui prévaut depuis l’instauration de la métrologie légale. Depuis près de deux cents ans en effet, le consommateur a besoin de certitude lorsqu’il achète une quantité donnée (de viande, d’eau, de pain, d’essence…) et c’est pourquoi tout a été mis en oeuvre, avec succès, pour le rassurer. L’industriel, lui, doit comprendre ses besoins (dimensionnement) et ses process (pilotage) pour pouvoir satisfaire son exigence fonctionnelle.
Les solutions actuelles me font penser aux dogmes dénoncés ci-avant. En se surprotégeant, en refusant l’effort qui consiste à remettre en cause ses pratiques, l’industriel surconsomme pour atteindre son objectif. Tout le monde a conscience que les besoins exprimés aujourd’hui sont souvent empiriques et surdimensionnés (« pour être sûr ! »), voire définis suivant des stratégies qui pourraient être améliorées. La fameuse « chaîne de côtes » (Somme des tolérances des constituants) de la mécanique est très similaire aux anciennes techniques de calculs d’incertitude s’appuyant sur la somme des erreurs, négligeant de ce fait les aspects aléatoires des événements. Dans ce domaine, tout comme dans ceux du pharmaceutique, de l’aéronautique, de l’électronique et de tous les autres, les exemples sont nombreux où les produits sont acceptés malgré leur « non-conformité » démontrée : ce qui ne remet pas systématiquement en cause leur fonct ionnement. Ainsi, et les industriels en sont bien généralement conscients, les tolérances exprimées sont trop serrées, les exigences trop fortes donc les coûts trop élevés…
La métrologie doit se tourner vers l’analyse des données, la prise en compte des effets « mesure » (incertitude) pour participer activement à la compréhension des phénomènes qu’elle doit pouvoir expliquer, en collaboration avec les spécialistes des phénomènes physiques observés. La simple opération d’étalonnage/vérification à laquelle se livrent aujourd’hui les industriels certifiés ou accrédités est très loin de ce noble objectif. Elle s’inscrit plutôt dans la croyance historique et inexorablement fausse « Instrument étalonné = mesure juste » : ce qui ne permet plus de se poser les bonnes questions.
Un premier pas, pour le métrologue d’entreprise, pourrait être par exemple de se tourner vers les surveillances pour s’adapter à une vision plus réaliste des choses. Quand l’étalonnage ne traite que du passé, la surveillance assure le quotidien en permettant de garantir que le processus de mesure (et non le moyen) a toujours les mêmes performances. Un instrument doit évidemment être étalonné lors de sa mise en service pour démontrer qu’il est bien en adéquation avec l’unité qu’il prétend « représenter ». Ensuite, dans le temps, la démonstration quotidienne du maintien des performances métrologiques des processus est une grande partie de la réponse à l’exigence non seulement des référentiels qualité quant au raccordement des moyens mais surtout à celle des clients quant à la conformité des produits ou services. Le client exige en effet des produits conformes à ses demandes et l’étalonnage/vérification calendaire « aveugle » ne peu t pas permettre de détecter les inévitables accidents. Ces actions (étalonnage/vérification) ne participent finalement donc pas tant que cela à la bonne marche de l’entreprise et à la satisfaction de ses clients !
Ce premier pas décisif vers l’analyse statistique des données (car il s’agit bien de cela) est celui qui conduira finalement vers une vision éclairée des phénomènes. Quand le métrologue recherche (ou devrait rechercher, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, nous nous devons de le reconnaître), lors des étalonnages et dans ses propres incertitudes, la part de l’instrument qu’il observe, sa démarche est finalement la même que celle de l’industriel qui cherche, dans sa propre incertitude de mesure (qui existe, qu’il en ait conscience ou non !), ce qu’il a effectivement réalisé…
Et puisqu’en ce début février, il est trop tard pour formuler des voeux pour 2012, je les exprime sur un horizon plus large car, tout comme pour notre environnement général, les révolutions à conduire demanderont du temps… Comme en tout domaine, arrêtons de nous plaindre de notre condition (de métrologues incompris en ce qui nous concerne spécifiquement) car il ne tient qu’à nous de progresser : les outils nécessaires sont à portée de mains ! Appliquons simplement le principe énoncé par Antoine de Saint-Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. »
Cet article a été initalement publié sur le site bivi métrologie de l’Afnor (www.bivi.metrologie.afnor.org)
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