SHM et génie civil : entretien avec Odile Abraham

Universitaire, vous travaillez sur les END dans le cadre des structures de génie civil. Qu’en est-il ?

Je suis direcrice du laboratoire Géophysique et évaluation non destructive (GeoEND) à l’Université Gustave Eiffel, à Paris. Mes travaux de recherche portent principalement sur le développement de méthodes d’auscultation non destructives du béton avec des ondes ultrasonores. À la Cofrend, je participe à l’animation de groupes de travail qui sont de compétences élargies, qui traitent de méthodes qui dépassent largement le cadre des ultrasons. Je participe au groupe de travail « END & Génie civil » et pilote un groupe de travail génie civil dans le cadre du groupe de la Cofrend dédié au SHM (Structural Health Monitoring ou contrôle de santé des structures).

Dans un premier temps, pouvez-vous nous parler de vos travaux de recherche en lien avec le génie civil ?

À titre personnel, j’utilise les ondes ultrasonores plutôt haute fréquence. Ce sont des ondes qui vont principalement donner des informations sur des propriétés mécaniques comme les modules d’élasticité ou la porosité ou sur les endommagements (fissures, etc.). 

Le béton c’est du ciment avec des cailloux, des granulats. Les ondes, qui peuvent être multiplement diffusées sur les granulats, permettent de détecter des défauts précoces ou des défauts qui ne sont pas détectés par des méthodes traditionnelles. Par exemple, nous développons des techniques d’acoustique non linéaire qui offrent la possibilité de trouver des fissures fermées, nombreuses dans le béton, et dont certaines doivent être trouvées et quantifiées. Il y a déjà des méthodes qui sont efficaces, pour autant nous essayons d’améliorer les techniques et de trouver des défauts que les techniques usuelles ne voient pas. Nous visons par exemple à détecter des défauts plus tôt ou des défauts plus petits que ceux que peuvent détecter les techniques usuelles.

De nombreux laboratoires travaillent sur ces techniques ultrasonores, utilisant le champ diffus ou des ondes de surface. Je travaille également sur des ondes de surface utiles pour surveiller la surface qui protège ce qu’on appelle les armatures métalliques, armatures qui se corrodent. Avec les ondes de surface nous essayons d’ausculter et de suivre les propriétés du béton qui constitue une barrière pour les agents agressifs. D’autres chercheurs travaillent sur ces problématiques avec d’autres techniques. Pour des questions d’échelle et d’environnement (milieu humide, salé, etc.), une seule technique ne suffit pas. Nous avons besoin de techniques complémentaires pour avoir une approche multiéchelle et multiphysique.

Vous animez le groupe de travail Génie civil au sein groupe de travail constitué sur la thématique plus générale du SHM. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

L’université Gustave Eiffel et le CEA pilotent la branche SHM de la Cofrend, avec pour objectif de structurer la filière SHM en France. Des groupes de travail par sujet ont été constitués. Hervé Lançon (société Sites) et moi-même pilotons le groupe de travail génie civil qui compte de nombreux participants, chercheurs et industriels représentant des domaines d’activité pluriels comme l’énergie, les réseaux routiers et les réseaux ferroviaires.

Une première étape a été d’établir le périmètre du groupe de travail et de proposer une définition du SHM en Génie civil. Voici la définition que nous avons retenue : le SHM est un ensemble de dispositions de mesure pour une collecte et un report de grandeurs physiques télé-opérés sur les structures du génie civil, dans le but de fournir des informations dans le temps utile à leur gestion et exploitation (indicateurs, aide à la décision, prévision).

Sont inclus dans les « structures de génie civil » : les ouvrages d’art (ponts, viaducs, barrages, digues, murs de soutènement, tranchées, quais, réservoirs, enceintes nucléaires, aéro-réfrigérants, cheminées), le bâti, les chaussées et la géotechnique des environnements immédiats des ouvrages.

La particularité de notre thématique est la prise en compte d’une temporalité particulière en matière de surveillance des structures. Avec trois temps mis en évidence : un temps long (pour compléter la connaissance d’une partie d’un ouvrage, gérer le patrimoine et le surveiller à long terme), un temps court (surveillance renforcée quand un problème est identifié, suivi d’évolution d’une tendance, diagnostic ponctuel) et un temps très court (pour une surveillance immédiate). Suivant les temps longs, courts ou très courts les verrous et les enjeux ne sont pas les mêmes.

Est-il possible de nous faire part d’exemples concrets ?

Prenons le cas des capteurs, par exemple. Sur un temps long, l’un des enjeux des capteurs c’est qu’ils soient durables, avec des notions de coûts qui ne doivent pas être trop élevés. Or, le coût qui n’a plus trop d’importance pour un temps très court lorsqu’on est dans l’urgence. 

Quid des mesures et des données ? Il est nécessaire d’avoir des informations en temps réel lorsqu’on est dans un temps très court. Sur un ouvrage que l’on examine 15 ans après avoir posé les capteurs se pose la question de savoir, par exemple, si les données sont bien enregistrées et les formats toujours transférables.

Quelles sont vos propositons pour la filière ?

Nos propositions d’actions générales pour la filière sont de valoriser le savoir-faire et les success-stories français, promouvoir le dialogue entre des acteurs qui pour l’instant dialoguent peu (comme dans d’autres secteurs), prendre en compte le temps long des dispositions du SHM dans le génie civil (transmission, open data, standardisation, etc.), identifier les besoins et émettre des recommandations en termes de formation, et publier un livre blanc (définition du périmètre du SHM génie civil, état de l’art des pratiques, identification des verrous, analyse AFOM, success-stories, réponses de la filière SHM).

Il convient de noter que les grands ouvrages comme le viaduc de Millau ou les centrales nucléaires sont déjà instrumentés pour la surveillance. Toutefois, pour l’instant, ce sont plutôt des ouvrages d’exception. Avec le vieillissement de l’ensemble des structures en place, le SHM va se déployer et de plus en plus d’ouvrages neufs seront instrumentés. Car l’objectif est de mieux suivre l’état des structures. Cela a un coût mais employé à bon escient cela peut être économique. Des chercheurs formalisent d’ailleurs cela dans le cadre global du SHM.

L’enjeu de durabilité est important notamment pour le béton dans lequel il est possible, par exemple, de noyer des capteurs comme des fibres optiques, des capteurs de déformation ou des accéléromètres. Certains laboratoires de recherche travaillent à concevoir des capteurs innovants destinés à être enfouis.

Le génie civil est, selon moi, un secteur d’avenir. Il y a de plus en plus d’auscultations et de surveillance pour assurer la sécurité et le bon fonctionnement des structures, et optimiser également la maintenance. Le groupe de travail de la Cofrend piloté par Vincent Garnier « END et béton » est très actif. Un comité sectoriel a par ailleurs été créé car il n’y a pour le moment pas de réglementation. En SHM non plus d’ailleurs, et beaucoup reste à faire.

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