Les spécifications clés et leur impact sur les performances
Introduction
Toute surface optique sphérique, même celles conçues et fabriquées parfaitement, présentera une aberration sphérique. En raison de ce défaut inhérent aux surfaces sphériques, les rayons lumineux incidents se focalisent en différents points lors de la formation d’une image et créent un flou. C’est pour corriger ce défaut que les lentilles asphériques ont été conçues. (Figure 1).
Les lentilles asphériques peuvent offrir une taille de spot améliorée, plus petite de plusieurs ordres de grandeur que les lentilles sphériques, ce qui élimine presque entièrement le flou et améliore considérablement la qualité d’image. Les éléments de lentilles asphériques permettent également aux concepteurs de créer des systèmes à plus haut rendement tout en conservant une bonne qualité d’image dans les assemblages multi-éléments. Dans les systèmes optiques, plusieurs éléments sphériques peuvent être remplacés par une seule lentille asphérique, ce qui réduit la taille et le poids sans nuire aux performances. Ces dernières années, les méthodes de fabrication n’ont cessé de s’améliorer et les lentilles asphériques sont devenues un incontournable de la conception optique moderne.
Toute lentille dont la surface n’est pas sphérique peut être appelée asphérique ; cependant, pour des raisons de fabrication, la plupart des lentilles asphériques sont des lentilles à symétrie de rotation dont le rayon de courbure varie du centre jusqu’au bord. Cette géométrie pose des défis uniques qu’on ne retrouve pas dans la fabrication traditionnelle des lentilles. Une lentille sphérique est définie par un rayon de courbure unique et peut être meulée et polie par un outil plus grand que le composant, travaillant toute la surface en même temps. Par opposition, le rayon de courbure continuellement variable d’une lentille asphérique requiert un polissage sous-ouverture par des outils assez petits pour créer différentes courbures localisées à différents endroits de la surface.
La conception et la fabrication des lentilles asphériques sont toutes deux fondamentalement plus complexes que celles des composants sphériques ; il est donc important de connaître leurs spécifications individuelles et ce que cela signifie pour les performances.
Spécifications
Une surface asphérique est généralement décrite en termes de sag, laquelle peut être considérée comme la déviation d’un plan par rapport à son sommet. L’équation est donnée ci-dessous :
Z(s) est le décalage de la surface par rapport au sommet à une distance radiale de s à partir de l’axe optique. Le paramètre C est la courbure (qui correspond à l’inverse du rayon de courbure au sommet) et k est défini comme la constante conique. Les termes A4, A6 et A8 sont appelés coefficients asphériques de 4ème, 6ème et 8ème ordre. La Figure 2 illustre la comparaison entre une surface asphérique et une surface sphérique.
La surface asphérique décrite par l’équation ci-dessus représente la forme idéale ; l’objectif de la fabrication est de s’en approcher le plus possible. Inévitablement, il y aura un écart par rapport au profil de surface idéal : c’est ce qu’on appelle l’erreur de figure d’asphère, ou irrégularité de surface. Celle-ci est calculée en soustrayant la surface idéale de la surface fabriquée à l’aide d’un logiciel et en analysant l’écart résiduel. Cette spécification est souvent citée comme une valeur de peak-to-valley (P-V), qui représente la différence entre les points d’écart maximal et minimal. Toutefois, cette valeur peut être trompeuse car elle ne précise pas le nombre de pics et de vallées présents sur la surface optique. Une mesure plus fiable de l’irrégularité de surface est la déviation quadratique moyenne (ou RMSD pour Root Mean Square Deviation) qui examine la différence absolue par rapport à la surface idéale en plusieurs points et calcule une valeur moyenne pour l’ensemble de l’optique. Cette valeur peut varier de quelques microns pour une optique de qualité commerciale à quelques dixièmes de micron pour une optique de haute précision.
Bien que l’irrégularité de surface donne une bonne indication des performances de la lentille, il manque encore une quantité importante d’informations. Si l’on considère l’ensemble de la surface optique, l’écart par rapport à la forme idéale en un point donné n’est pas constant. En outre, les techniques de meulage et de polissage sous-ouverture utilisées dans la fabrication de la lentille asphérique peuvent créer des motifs et des structures répétitifs dans le profil d’irrégularité de surface, connus sous le nom de fréquences spatiales moyennes. Une autre spécification clé qui en découle est la pente d’irrégularité ou tolérance de pente. Cette valeur fixe une limite supérieure au taux de variation de l’erreur de figure d’asphère, décrivant la rapidité avec laquelle l’écart par rapport à la forme idéale peut changer dans une fenêtre donnée. Les valeurs typiques vont de 1 µm/mm pour la qualité commerciale à 0,15 µm/mm pour la haute précision. La taille de la fenêtre est une partie importante de la spécification et doit être choisie de manière à être inférieure à la longueur d’onde de la fréquence spatiale moyenne ciblée, mais suffisamment grande pour éviter de compter les variations de fréquence plus élevées, telles que la rugosité de surface ou le bruit de l’instrument.
Considérations relatives à la performance
Tous les systèmes optiques présentent une limite théorique de performances, appelée limite de diffraction. Le rapport de Strehl est une spécification permettant de comparer les performances réelles d’un système optique à ses performances limitées par la diffraction. Pour les lentilles asphériques et d’autres optiques de focalisation, le rapport de Strehl est défini comme étant le rapport entre l’irradiance maximale de point focal de l’optique fabriquée et l’irradiance maximale limitée par la diffraction1. Le seuil standard de l’industrie au-delà duquel une lentille est classée comme étant « limitée par la diffraction » est un rapport de Strehl de 0,8.
Le rapport de Strehl peut aussi être mis en relation avec l’erreur de front d’onde transmis RMS à l’aide de l’approximation suivante, dans laquelle représente l’erreur de front d’onde RMS en ondes2. Cette approximation est valide pour les valeurs d’erreur de front d’onde transmis < 0,1 ondes.
Le rapport de Strehl d’une optique dépend fortement de la précision de sa surface, qui peut être quantifiée en termes d’irrégularité de surface et de tolérance de pente, toutes deux décrites dans la section précédente. Tout d’abord, considérez la fréquence spatiale de l’erreur de figure. Lorsque l’irrégularité de surface est modélisée comme une fonction cosinus à symétrie de rotation, nous pouvons explorer le rapport de Strehl résultant en fonction de l’irrégularité de surface RMS pour une variété de périodes cosinus (Figure 3 et Figure 4).
Ici, le facteur clé n’est pas la période du cosinus en mm, mais le nombre de périodes sur l’ouverture de la lentille. Pour un outil de sous-ouverture donné utilisé dans la fabrication des lentilles asphériques, les lentilles asphériques de petit diamètre auront une dégradation du rapport de Strehl inférieure à celle des lentilles asphériques de grand diamètre (Figure 5).
L’impact de l’irrégularité de surface sur le rapport de Strehl dépend aussi du f/# de la lentille. En règle générale, les lentilles asphériques plus rapides, ou les lentilles asphériques avec des f/# plus petits, ont une plus grande sensibilité à l’impact de l’irrégularité de surface sur le ratio de Strehl. À titre d’exemple, la Figure 6 compare une lentille f/2 à une lentille f/0,75 (toutes deux avec un diamètre de 25 mm).
Les exemples ci-dessus illustrent bien le fait que la structure sous-jacente de l’irrégularité de surface peut avoir un effet conséquent sur le rapport de Strehl d’une lentille, en particulier dans le cas de fréquences spatiales importantes. La tolérance de pente est un moyen simple et efficace de limiter cet effet. Pour une limite d’irrégularité PV donnée, des pentes plus élevées sont associées à des fréquences spatiales plus élevées sur la surface. Ainsi, lorsque l’irrégularité PV d’une surface et sa pente sont limitées, le nombre admissible de périodes est réduit (voir Figure 7).
Pour évaluer les fréquences spatiales de manière plus directe, on peut utiliser une spécification appelée densité spectrale de puissance (DSP). Cette fonction est calculée en analysant la transformation de Fourier de la carte d’irrégularité de surface qui donne un tracé bidimensionnel de la surface en termes de composantes de fréquence spatiale. Le placement des tolérances sur ce tracé limitera ainsi directement le nombre de périodes.
Conclusion
Les lentilles asphériques sont un outil extrêmement puissant pour améliorer les performances des systèmes optiques tout en réduisant le nombre d’éléments et, par conséquent, la taille et le poids. Que ce soit dans le matériel médical, les microscopes, les smartphones ou les véhicules autonomes, elles sont de plus en plus importantes dans tous les secteurs reposant sur l’optique.
Il est important d’apprécier la complexité de la fabrication des lentilles. Une surface asphérique ne peut pas être fabriquée de la même manière qu’une surface sphérique. Une série de techniques de meulage et de polissage sous-ouverture doivent être utilisées pour créer une courbure variable. Ces méthodes créent des problèmes supplémentaires qu’il convient de contrôler afin de maximiser les performances d’une lentille asphérique.
L’irrégularité est toujours un paramètre important, car tout écart par rapport à la forme idéale entraînera une augmentation de l’erreur de front d’onde transmis et une diminution des performances. Il y a cependant des effets secondaires à prendre en compte, notamment la fréquence spatiale moyenne du profil d’irrégularité de surface. Une surface avec des fréquences plus élevées aura des performances réduites par rapport à une surface identique avec des fréquences plus basses. Cet effet est plus prononcé pour les grandes lentilles et les lentilles avec un f/# plus petit. Pour cette raison, il est important de considérer la forme de l’irrégularité de surface sur toute l’ouverture de la lentille pour comprendre l’impact réel que l’irrégularité de surface aura sur les performances. Des outils tels que la fonction de densité spectrale de puissance et la valeur de la pente d’irrégularité fournissent un moyen utile de limiter les effets de fréquence spatiale et de pousser réellement les performances à des niveaux de précision plus élevés.
Lors de la spécification des composants optiques complexes comme les lentilles asphériques de haute qualité, de nombreux autres facteurs doivent être pris en compte en plus de ceux décrits dans cet article. Les résultats finaux dépendent souvent du choix du bon partenaire de fabrication, possédant l’expérience, les outils et la métrologie appropriés pour réussir.
Références
- Strehl, Karl W. A. « Theory of the telescope due to the diffraction of light », Leipzig, 1894.
- Mahajan, Virendra N. « Strehl ratio for primary aberrations in terms of their aberration variance ». JOSA 73.6 (1983) : 860-861.
- Kasunic, Keith J., Laser Systems Engineering, SPIE Press, 2016. (ISBN 9781510604278)
- Lawson, Janice K., et al. « Specification of optical components using the power spectral density function. » Optical Manufacturing and Testing. Vol. 2536. International Society for Optics and Photonics, 1995.
- Messelink, Wilhelmus A., et al., « Mid-spatial frequency errors of mass-produced aspheres », Proc. SPIE 10829, Fifth European Seminar on Precision Optics Manufacturing, 7 août 2018, DOI : 10.1117/12.2318663.